mardi 6 octobre 2009

Et au milieu coule une rivière...




J'aurai habité pendant cinq trop longues années à Pont-de-Buis, à l'orée d'une part de la presqu'île de Crozon, d'autre part des monts d'Arrée. Pont-de-Buis est une ville morne, dénuée d'histoire ancienne, ce qui est peu fréquent en Finistère. Elle ne doit son existence fantomatique et son peuplement de bâtisses aussi tristes que des corons du nord, sans le moindre intérêt architectural, qu'à son récent passé ouvrier. Sinistrée par une réorientation des préoccupations industrielles vers les pays de l'Europe élargie, Pont-de-Buis double donc sa morosité naturelle d'une apathique tendance à la désocialisation, voire à la clochardisation... Quelle aubaine pour y devenir poète !
Toutefois, cette ville-furoncle est sise sur le joli fessier de collines escarpées, contreforts des sommets de notre massif armoricain, peu hauts soit, mais du plissement hercynien, le plus ancien du monde, ainsi que dans le Connemara ou les Highlands. Une rivière la partage donc en son milieu, sur laquelle s'installa dans  l'après-guerre, la société nationale des poudres et explosifs. Ici, on dit "la poudrerie", et on lui doit les plus faibles loyers et tarifs immobiliers de tout le département, de sa banale explosion dans les années '70.
Durant cinq ans, j'y aurai donc accueilli mes deux enfants dans le demi-temps de leurs congés scolaires. Que faire faire à deux enfants en un tel endroit ? Bien sûr, la mer n'est pas très loin, le beau village historique de Locronan, non plus, et lorsqu'il ne pleut pas, nous pouvons toujours agrémenter de kilomètres onéreux en carburant, le pain quotidien de nos vacances.
Mais un autre fait s'avère : mon fils est depuis son plus jeune age, quatre ans je crois, un authentique féru de pêche à la ligne ! L'ai-je influencé ? Sans nul doute !
Curieusement, longtemps auparavant, lorsque leur future mère et moi étions de jeunes amants et que je ne m'étais pas encore dégradé au point de me perdre totalement, nous nous étions arrêté toute un après-midi sur les berges de la Doufine, car tel est le joli nom doux et fin de cette rivière qui tranche Pont-de-Buis comme une raie, descendant du grand lac de Brennilis et enjambée d'un viaduc classé monument historique.
A l'époque, j'étais encore pêcheur, et beaucoup plus précisément, pêcheur à la mouche. Pour ce qui n'ont pas vu le merveilleux film réalisé par Robert Redford, "Et au milieu coule une rivière", lui-même tiré du splendide roman autobiographique de Norman McLean ("La rivière du sixième jour"), quelques précisions sont à apporter : être pêcheur à la mouche, ce n'est pas être un pêcheur comme les autres...
Il s'agit d'un sport, d'une science, d'une apothéose dans l'art de la pêche. On ne devient pêcheur à la mouche qu'après avoir testé toutes les autres formes de pêche à la ligne, et après avoir su accepter de savoir rentrer bredouille sans que cela ne gâche pour autant le plaisir que fut une partie de pêche à l'anglaise. Cet autre surnom elle le doit à Sir Izaac Walton, un curieux écrivain et érudit illuminé du 17ème siècle, qui prêchait la dimension philosophique de cette pratique en ce qu'elle nous enseignait de notre appartenance à la nature.
J'arpentais donc à l'époque les routes de ma région, à la recherche de rivières propice à l'expression de ce petit talent, à savoir des belles ondes larges et peu profondes, telles que la magie des images de Redford nous en propose une version américaine.
Le hasard de la vie fit que, bien plus tard, je me retrouvai habiter à Pont-de-Buis, non loin de cette Doufine que j'y avais découverte. C'est un très bel endroit : s'éloignant de la ville, en amont, il est un petit pont. De là, un chemin longe le serpent d'eau, jusqu'à une vaste prairie, toute entourée de hauts bois, amphithéâtre naturel où s'entendent les musiques d'oiseaux divers. C'est là que je pris l'habitude d'emmener mes enfants. Ma fille s'y pose tranquillement dans les hautes herbes tandis que j'apprends le maniement d'une canne à pêche à son frère cadet. C'est un long apprentissage. Nous y avons trouvé un beau recoin, un tout petit peu plus calme et plus profond, où foisonnent les vairons, ces si jolis poissons grands comme des doigts de la main et dont on fait friture le soir...
On n'apprend pas à pêcher en attrapant des brochets ! Quoique... Un jour, mon fiston vit au travers de l'onde, un monstre aquatique happer son appât ! Tant bien que mal, il le sortit de l'eau, mais le saumon plus long que mon avant-bras rompit la fragile ligne à vairon, et vif comme l'éclair, rejoignit par rebond sur les herbes de la berge son milieu naturel. Je réussis à atténuer la tristesse de mon garçon en le convainquant qu'il avait bel et bien attrapé son géant, et que seule la destinée nous avait intimé qu'il devait poursuivre son chemin au lieu de finir dans un plat. Je crois que c'est cela l'apprentissage selon Mr Walton, un rapport à la philosophie de la vie par la nature et ce qu'elle nous en laisse...
Et puis il est tant de belles choses en cet endroit : un couple de hérons cendrés le survole fréquemment dans leurs amours. Un jour, une colonie de loutres vint nous rendre visite. Ma fille se laissa même approcher par l'une d'entre elles qui vint lui renifler les doigts comme un chat. Quant à mon fils, je lui expliquai là encore, que la partie de pêche était foutue, les loutres étant naturellement bien plus douées que nous à ce petit jeu-là !
Mais en règle générale, il y apprend la magie de lever un poisson, et même de nombreux !
Pour les petits citadins qu'ils sont devenus, pour ce que je pouvais leur apporter en terme de parentalité éloignée, cet endroit et les activités que l'on put y pratiquer, on su à mon sens nourrir la réciprocité de nos rapports.
Reste une question qui m'est inlassablement posée : "dis papa ! Quand c'est qu'tu m'apprends à pêcher à la mouche ?"