vendredi 2 décembre 2016

Les îles Achille

Je me souviens des îles Achille, auxquelles nous accédâmes par ce long pont dressé sur les marées océanes, en janvier 2006, alors que la voiture ainsi servant d'aquarium inversé, nous laissait contempler le spectacle déjà nocturne où s'invitaient les larmes des giboulées irlandaises.
Je m'étais empressé d'échapper à l'emprise de la psychopathe qui m'avait mené jusqu'ici, juste afin de profiter de cet ici ; posé près du volant sur la droite de l'habitacle, en changeant parfois les vitesses à force d'ouvrir les vitres, une envie de manger bien m'avait guidé vers un restaurant chinois. J'en étais le seul client. Les restaurants chinois sont l'invariabilité, le marqueur indissoluble en notre univers mondialisé, le doigt posé sur notre destin, qu'il soit dans le treizième arrondissement d'un Paris volatile, ou perdu dans les décombres d'une des îles Achille, au-dessus du Connemara. Je pris le temps d'y déguster les plats les plus communs. Juste à côté, il y avait un pub. En Irlande, il y a toujours un pub.
Je m'y suis posé comme un coquillage en son rocher : nous n'étions que trois. Nous fîmes assez rapidement connaissance, alors que le barman ne comptant que sur les clients ne comptait pas, restaient moi nouvel arrivant, l'ivrogne de service insupportable, et le docteur — certainement de service — à la façon d'un roman de Michel Déon.
Je bus peu mais suffisamment, m'imprégnant à l'encre de la stout et captif aux tip-tap-tapping des paroles du médecin, de l'univers de Samuel Beckett.
Reprenant la voiture, on me fit de grands appels de phare ; ah oui, malgré la conduite à droite, en cette route a priori déserte, on n'avait pas repris la voie de gauche.
Ce fut ma dernière soirée en Irlande, avant la nuit suivante à Shannon airport.