jeudi 1 avril 2010

La ville à l'envers

Ce n'est pas d'un premier avril à Anvers, mais de la première ville à l'envers dont je vais vous narrer l'étrange destinée. Immédiatement, vous devez penser à des bâtisses dans lesquelles on rentre par les lucarnes du toit sur lequel elles reposent au sol, à des immeubles où les ascenseurs montent au lieu de descendre, à ce sens-dessus-dessous disséminant son indécent diallèle à nos dissymétries imaginaires. Une ville à l'envers ! Un antipode transposé sous nos pieds, où tout le monde parle en verlan...
Non.
Je vais vous parler de Châteaulin.
Il est vrai que c'est une cité où beaucoup de gens marchent sur la tête, ces derniers temps... Je n'y vis plus, mais tout près depuis cinq ans, nonobstant m'y être acheté une jolie propriété que les affres du divorce m'imposèrent de revendre. Ma petite famille y avait tout de même grandit cinq autres années durant, après qu'elle eut commencé non loin, trois ans encore avant. Cela m'en fait donc treize – depuis la naissance de ma fille aînée – à fréquenter Châteaulin, dont je ne pus m'empêcher de fouiner dans l'histoire.
Châteaulin est née sur les berges d'une rivière s'évasant en estuaire vers le grand ouest : l'Aulne. Enfant de Pont-Croix, j'en entendais souvent parler pour ses fameux saumons qui la remontaient comme le Shannon en Irlande, pour son école de frères – punition ultime en forme de pensionnat, pour les bons élèves finistériens, et probablement non soustraite aux cas de pédophilie – la dominant, et pour le camp semi-disciplinaire où – seconde punition – on risquait de subir son service militaire plutôt que d'aller se dorer la pilule à bord d'un bateau brestois en destination des mers chaudes.
Châteaulin est née sur le premier gué franchissable de l'Aulne, il y a très longtemps, du temps où les moines irlandais disciples de saint Patrick, venaient évangéliser l'Armorique à laquelle les envahisseurs bretons venus de l'île de Bretagne sous les ordres de l'empire romain, donneraient plus tard le nom. Le premier gué sur la rivière qui sépare ce que sont aujourd'hui le Finistère-nord du Finistère-sud : un atout considérable pour le commerce et la stratégie militaire ! Et c'est ainsi qu'elle crût !
Elle tient probablement son nom d'un grand bonhomme : Alain IV Fergent, dernier duc de Bretagne de la maison de Quimper, un sacré bonhomme ! Son surnom – Fergent – n'a jamais encore été élucidé, néanmoins, on sait de lui qu'il vainquit Guillaume dit le conquérant (excusez du peu) au siège de Dinan, protégeant ainsi la Bretagne de la convoitise de l'ogre anglo-normand naissant. Ensuite, il s'est un peu absenté, histoire de prendre Jérusalem aux côtés de Godefroy de Bouillon en 1099... Et probablement de mettre son grain de sel dans la création de l'ordre des templiers... On suppute aussi chez lui l'hérésie dans ses derniers temps, une curieuse chronique, un de ces hommes mystérieux qui font de notre histoire de Bretagne et de France, un roman d'une actualité sans cesse renouvelée.
En langue bretonne, « château » se dit « kastell », et « Châteaulin », « Kastelin », sûrement la contraction de « Kastel-Alin ». De fait, on lui attribue l'érection du château, sur la butte, le très haut rocher qui domine le gué sur l'Aulne... Personnellement, je pense qu'il remonte plutôt au Xième siècle – comme la plupart des châteaux-forts bâtis au dessus des rivières – et aux invasions vikings que de telles forteresses permettaient de prévenir, tandis que ces derniers remontaient les estuaires pour piller les terres riches de l'intérieur.
Mais ce fut sa personnalité, et le fait qu'il en fit son repaire, et le lieu de dominance de sa duchesse mythique, qui fit force de toponymie. Le château fut brûlé par les anglais sous l'avance de Duguesclin, durant la guerre de cent ans, puis totalement rasé à la révolution. Il n'en reste aujourd'hui qu'une tour millénaire. Mais ceci confère encore aujourd'hui un particularisme rare à la ville, qu'on ne rencontre que dans celles édifiées autour d'une butte féodale – seule Edimbourg me vient à l'esprit – à savoir, une ville au cœur de laquelle se trouve de la verdure, un bois en l'occurrence, sur les pentes des anciennes murailles. C'est un premier sentiment d'inversion.
Mais de tout temps, Châteaulin a perturbé mon sens de l'orientation.
Venant du nord, c'est par là que l'on franchit la rivière pour aller dans le sud du Finistère (et inversement). Pourtant, venant du nord, on franchit la rivière en voyant se coucher le soleil à notre gauche ! Venant du nord, la gauche, c'est l'est ! La droite, l'ouest ! En face, le sud !
Mais non ! Venant du nord et franchissant l'actuel canal à l'endroit de l'ancien gué, la rivière semble couler vers l'est... C'est ainsi que l'on perd ses repères dans la ville à l'envers.
Le rocher de l'ancien château et son magnifique belvédère, se trouvent du côté du Finistère-sud, et pourtant, là, c'est sur votre droite que se couche le soleil, ce qui devrait pourtant être l'est si vous regardiez le nord. Mystère !
Châteaulin est une ville à l'envers.
La raison en est simple : à son endroit, l'Aulne forme un S, « la boucle de l'Aulne », et le gué, le château et sa ville, sont nichés au creux de ce S, et le monde est à l'envers ! La rive sud se retrouve au nord de la rive nord, la rive nord au sud de la rive sud, et au milieu coule une rivière vers l'est qui s'en va pourtant vers l'ouest dominant.
Quoi de surprenant à vivre à l'envers dans une ville à l'envers ?





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